Coup de Jarnac sur les donations avant cessions.
En matière fiscale, l’administration dispose d’une arme anti-abus, la possibilité de contester sur le terrain de l’abus de droit les actes dont le motif est exclusivement fiscal et qui utilisent un texte dans un esprit contraire à la volonté de ses rédacteurs.
Or, à la suite d’un amendement d’origine parlementaire, la loi de finances pour 2019 vient d’instituer une nouvelle procédure d’abus de droit, distincte de la procédure existante. Dans cette procédure, codifiée à l’article L 64 A du LPF, le motif fiscal exclusif est remplacé par un motif fiscal principal.
L’irruption de ce nouveau dispositif dans le paysage fiscal oblige à repenser le bien-fondé de stratégies d’optimisation largement utilisées jusqu’à présent.
En première approche, et malgré une rumeur insistante, les « simples » libéralités avec réserve d’usufruit au profit des donateurs ne devraient pas être concernées par le texte nouveau, leur ancrage dans le paysage patrimonial français ayant maintenant plus de deux siècles d’existence.
Mais la question est plus délicate s’il s’agit de libéralités précédant de peu une cession du bien objet de la libéralité. En effet, la donation a pour conséquence de rehausser le prix de revient fiscal du droit donné, et d’effacer à due concurrence la plus-value latente sur laquelle le donateur aurait dû acquitter de l’impôt en l’absence de libéralité.
Jusqu’à présent, toutes les tentatives de l’administration fiscale pour aboutir à une qualification des « donations/cessions » en abus de droit se sont soldées par des échecs, les tribunaux ayant estimé que l’intention libérale excluait tout abus de droit.
Les seuls cas où elle a fait prévaloir ses vues portaient sur des dossiers où, après la cession du bien donné, les donateurs se sont réappropriés le prix de vente.
Sous l’empire du texte nouveau, avec le but « principalement » fiscal, l’administration a toute latitude pour affirmer que l’économie d’impôt sur la plus-value est le but principal de l’opération, ce qui risque d’aboutir à une requalification fiscale très coûteuse pour le donateur.
Quelle attitude adopter ?
D’abord, comme le nouveau texte n’entrera en vigueur qu’à compter du 1er janvier 2020, les stratégies de donations/cessions mises en œuvre avant le 31 décembre prochain restent soumises à un régime traditionnel, assurant une grande tranquillité aux contribuables, les seules opérations incriminées étant celles à but exclusivement fiscal, s’inscrivant de surcroît dans une utilisation des textes contraires aux intentions du législateur.
Pour les cessions d’entreprises qui se situent au-delà de l’année 2019, il convient de réfléchir à une stratégie alternative efficace. La piste principale de réflexion consiste sans doute à dissocier dans le temps la donation et la cession ; si un délai raisonnable (compris entre 3 et 4 ans) s’écoule entre les deux dates, il sera plus difficile à l’administration de plaider une cause principalement fiscale.
Mais il faudra financer entretemps le montant des droits de donation, alors que la cession n’interviendra qu’à un horizon plus lointain. Pour cela, et à condition de remplir les conditions légales, les donateurs pourront utiliser le mécanisme de faveur de différé de paiement des droits de donation pendant 5 ans, assorti du seul paiement des intérêts légaux sur le montant des droits, au taux de 0,5 % par an. Au-delà de cette période de 5 ans, et si entretemps les titres n’ont pas été cédés, le paiement des droits sera fractionné sur 10 ans, paiement toujours assorti du taux d’intérêt légal.
Y a-t-il une autre solution ?
Oui. Elle consiste à tabler sur une neutralisation, partielle ou totale, du nouveau régime, par une décision du Conseil Constitutionnel saisi par une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). L’inconnue réside dans la date prévisible d’une telle décision, et dans le sens de celle-ci.
En l’absence de décision du Conseil, la mise en œuvre de stratégies patrimoniales d’optimisation risque bien d’être soumise à l’arbitraire de l’administration, seulement tempéré par le contrôle du juge de l’impôt.
Source : AGEFI – Par Jean-Francois Lucq, directeur de l’ingénierie patrimoniale Banque Richelieu