« America first » : Amérique isolée
Si Donald trump avait souhaité mettre en difficulté Jerome Powell pour sa première intervention devant les investisseurs, il ne s’y serait certainement pas pris autrement. Le discours très (trop ?) convenu du nouveau président de la FED, confirmant un scénario sans embuche de l’économie américaine pour les deux prochaines années s’est immédiatement trouvé contredit par la politique protectionniste décidée unilatéralement par Trump, avec pour cible la Chine. Sur l’ensemble des marchés, les investisseurs ont très peu apprécié et l’aversion pour les classes d’actifs risqués redevient élevée. Une nouvelle fois, les décisions politiques viennent interférer la sphère financière. Les premières décisions sur l’acier et l’aluminium n’avaient pas eu un impact très significatif alors que les mesures contre la Chine renvoient à des problématiques plus complexes. Un pas est franchi et il s’agit d’une guerre commerciale qui peut avoir ds effets négatifs sur le commerce mondial et sur la croissance affichée. Nous serions alors dans le pire des scénarii, à savoir la mise en place d’une politique moins accommodante de la part des banques centrales au moment où la conjoncture économique se dégraderait. Le plus grave serait que du fait du retard dans la hausse des taux US, la Fed n’aurait plus de marge de manœuvre pour revenir à une politique plus accommodante. Ce contexte est encore plus délicat à la lumière de l’importance de l’endettement américain (la dette US a franchi le cap symbolique des 21.000 Md$) surtout si la Chine en mesure de rétorsion se mettait à limiter ses achats de titres obligataires américains. Ce qui est déplorable est que ceci ne sert qu’à des objectifs de politique interne de Trump pour sauver ses élections de mi-mandat. Malgré une situation économique favorable, les Républicains ne parviennent pas à remonter dans les sondages, le risque pour Trump est que si les démocrates ressortent victorieux alors ils pourraient demander une procédure d’empechment. Cette fragilité politique l’isole de plus en plus, d’où la valse de ses conseillers et le recentrage vers une équipe ultra-conservatrice (John Bulton), ce qui n’est pas de bon augure.
La semaine a donc été marquée par des mouvements baissiers très importants sur l’ensemble des places financières : -4,05% pour l’Eurostoxx50, -2,44% pour le CAC 40 et -4,06% pour le DAX. Les marchés américains ont aussi enregistré des chutes, le Dow Jones affiche une diminution de -5,67% et le Nasdaq de -6,54%. Enfin, le Nikkei a également baissé de -4,88% sur la semaine.
La Fed manque de conviction
Il nous faut regarder les choses avec objectivité sans céder ni à un catastrophisme qui n’est jamais certain, ni à un optimisme trop « béat », ce qui a été un peu le cas en ce tout début d’année. Le principal risque est la problématique de l’entrée en guerre commerciale. Les annonces contre la Chine porteraient sur 60 Md$ de produits importés dont la liste sera communiquée sous 15 jours. Après les premières mesures sur l’acier et l’aluminium (dont l’Europe a été exemptée) la réponse des autorités chinoises portait sur 3 Md$ de produits américains agricoles, on peut donc imaginer qu’il y aura d’autres rétorsions. Mais la Chine a beaucoup à perdre si le conflit s’envenime eu égard à son excédent commercial (242 Md$ de surplus vis-à-vis des Etats-Unis en 2017). Xi Jinping pourrait ainsi jouer l’apaisement et ne pas rentrer dans une escalade et des négociations bilatérales pourraient s’engager entre les parties au cours des prochaines semaines. Nous pourrions donc avoir un scénario moins alarmiste et finalement revenir aux perspectives assez favorables de l’économie américaine développées par la Fed ce mercredi. Elle a confirmé que le cycle économique restera bien orienté au cours des deux prochaines années et conformément aux attentes a remonté ses taux directeurs de 25 pb pour les porter à 1,50-1,75% et a laissé inchangé le rythme de baisse de la taille du bilan (20 Md$par mois actuellement et 30 Md$ à partir d’avril). La projection de Powell est de deux hausses supplémentaires en 2018 et à nouveau 3 hausses sur 2019. Dans la mesure où la Fed a aussi augmenté le rythme de croissance économique sur 2018 et 2019, nous pourrions plutôt avoir une quatrième hausse en 2018, surtout si l’inflation s’approche des 2% d’autant que les membres sont divisés sur cette question. Il suffit qu’un seul membre change d’opinion pour aller vers 4 hausses en 2018. Jerome Powell a indiqué que la décision dépendrait de l’évolution du contexte économique. En raison de la réforme fiscale et des nouveaux budgets d’investissement, en particulier dans le militaire, les prévisions de croissance ont ainsi été modifiées à +2,7% vs +2,5% pour 2018 et +2,4% vs +2,1% pour 2019, ce qui conduira à une baisse encore plus rapide du chômage. En revanche, l’institution n’a que légèrement révisé à la hausse ses projections d’inflation. Cette anticipation devrait avoir pour conséquence une hausse progressive des taux souverains américains et une hausse du dollar d’autant que le Congrès a validé un accord budgétaire permettant le fonctionnement des services fédéraux jusqu’en octobre. L’augmentation du déficit public devrait être de l’ordre de 140 Md$ en 2018, traditionnel dilemme : favoriser la croissance tout en accentuant la trajectoire de la dette américaine. Nous avons tout de même le sentiment que la FED navigue en terre inconnue et reste prête à s’adapter à tout changement de l’environnement avec désormais une interrogation sur les décisions politiques et économiques de Trump et sur les statistiques qui seront publiées. Ceci va indéniablement être source de beaucoup de volatilité sur les marchés, la semaine en est une parfaite illustration. L’évolution de la parité euro/dollar est un autre sujet d’incompréhension et il n’est évidemment pas neutre pour l’évolution des marchés financiers puisqu’un euro fort pénalise les entreprises européennes. Au-delà de facteurs économiques normalement favorables à la remontée du billet vert, les critères politiques jouent en faveur de l’euro puisque le risque politique européen est faible alors qu’il est très élevé aux Etats-Unis suite à l’isolationnisme américain. Par ailleurs, la hausse des déficits commerciaux et budgétaires va aussi dans le sens d’un affaiblissement du dollar. Seule une dissipation des errements de Trump serait de nature à diminuer les risques mais cette bataille est loin d’être gagnée tant que Trump passera ses matinées à twitter et à regarder Fox News !
Croissance européenne toujours soutenue mais publications du T1 2018 sous pression
En Europe, les premières estimations des indicateurs PMI en mars témoignent de la baisse de l’activité en zone euro (55,3 en mars contre 57,1 en février), en dessous des attentes et au plus bas depuis 14 mois. Les nouvelles commandes ralentissent surtout à l’export, en raison probable de la hausse de l’euro. L’incertitude liée au risque protectionniste pourrait aussi peser sur le comportement des entreprises et nous pourrions avoir des surprises négatives lors de la publication des résultats trimestriels des entreprises courant avril. Sans considérer que ceci soit un exemple, la nouvelle alerte de Deutsche Bank sur son T1 2018 ne rassure pas. Les enquêtes d’activité en France et en Allemagne attestent que le risque protectionniste pèse sur le climat de confiance. La croissance en zone euro devrait néanmoins se maintenir autour des +2% en 2018 et 2019 tirée par la reprise de l’investissement et de la consommation domestique. Les entreprises ont la capacité d’augmenter leurs prix de vente en répercutant la hausse des coûts de production au consommateur final, d’où un relèvement prévisible de l’inflation. Ceci devrait alors permettre à la BCE d’arrêter le programme d’achats d’actifs d’ici la fin d’année et d’effectuer une première hausse des taux de dépôt au T1-2019.
Trump, nouveau maître du marché ?
Nous avons ici montré les risques inhérents à la problématique protectionniste et aux récentes décisions de la FED en recadrant ceci dans un contexte économique toujours favorable mais avec quelques signes négatifs. Le premier enseignement est le retour d’une forte volatilité et une nervosité des marchés financiers. La correction actuelle peut paraître sévère mais elle est cohérente avec les agissements totalement incontrôlés de Donald Trump qui risque de jouer son va tout électoral au cours des prochains mois. Le risque d’une dégradation de la conjoncture n’est donc pas totalement à exclure et en tout état de cause cela milite pour l’instauration de biais défensif au sein des portefeuilles même si d’un point de vue purement technique les tendances haussières de moyen terme ne sont pas remises en cause, pour l’instant !
Source : Lettre hebdomadaire n°22, lundi 26 mars 2018 Jean-Noël VIEILLE – Chief Economist HPC membre du Groupe OTCex
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