«Les Gafa ont vocation à surperformer»
Didier Saint-Georges, Managing Director et Membre du Comité d’Investissement, a accordé une interview exclusive au Revenu.
Dans cet entretien, il revient sur le comportement des marchés l’an dernier et donne ses perspectives pour 2019. Selon lui, les géants américains de la technologie devraient continuer à se distinguer dans un environnement de croissance molle.
Quelle lecture faites-vous du comportement des marchés l’an passé ?
L’exercice 2018 a été marqué par un télescopage lié à un double changement de régime, à la fois monétaire et économique. Souvenons-nous qu’en 2017 les marchés avaient connu le meilleur des mondes, entre rebond conjoncturel et liquidités abondantes.
Cette année-là s’est produit la plus grosse augmentation cumulée du bilan des banques centrales (d’environ 2.000 milliards de dollars), avec un rythme maximum de rachats d’actifs de la part de la Banque centrale européenne, Banque d’Angleterre et Banque du Japon, la Fed [Réserve fédérale américaine] ayant déjà, de son côté, arrêté son QE [quantitative easing].
Or, l’an passé, l’apport net de liquidités dans le monde est tombé au fil de l’année à zéro. Fin janvier 2018, le marché a commencé à prendre conscience de ce nouveau régime, ce qui s’est traduit à l’époque par une montée des taux longs. L’année a parallèlement été marquée par la confirmation progressive du ralentissement du cycle économique, d’abord en Chine et en Europe, puis aux États-Unis au second semestre.
D’où provient ce ralentissement économique ?
Depuis la nuit des temps l’économie freine pour les mêmes raisons : elle croît jusqu’à ce qu’un excès de demande par rapport à la capacité d’offre crée des tensions inflationnistes qui amènent les banques centrales à resserrer leur politique monétaire.
Cet effet a cette fois-ci été accentué dans le cas de la Fed par le détricotage du QE : en plus de l’ajustement des taux directeurs au niveau de l’inflation, la Fed est rentrée en phase de réduction de son bilan. Et les marchés ont pour la première fois dû supporter l’impact restrictif sur les liquidités d’une réduction de bilan de banque centrale, comparable à celui d’une hausse des taux.
Au-delà, il faut avoir à l’esprit le rôle joué par la Chine. Début 2016, Pékin avait initié un considérable plan de relance (estimé à 8 points de PIB !) qui avait enclenché une reprise du monde émergent et des matières premières, stimulé la croissance européenne, etc.
Puis les autorités ont levé le pied et l’économie chinoise a commencé à ralentir sensiblement, fin 2017. Cela a beaucoup affecté l’Europe et surtout l’Allemagne, nation exportatrice par excellence.
La Chine, clef de 2019. La Chine peut-elle encore, comme elle l’a fait maintes fois, relancer la machine ?
C’est sans doute la question la plus importante pour 2019 : la deuxième économie mondiale a-t-elle la capacité à éternellement repousser ses problèmes à plus tard ? C’est difficile à dire. Mais il est certain que ses marges de manœuvre deviennent très réduites, pour au moins deux raisons.
Tout d’abord, la dette chinoise est devenue si élevée que l’efficacité de tout endettement supplémentaire pour relancer l’économie décroît. Ensuite, les autorités n’ont plus vraiment la possibilité de baisser les taux d’intérêt. La balance commerciale de la Chine, qui a dégagé par le passé des excédents colossaux, est aujourd’hui à l’équilibre. Cela prive le pays d’une augmentation régulière de ses réserves de changes, indispensables pour contrer les sorties de capitaux en cas de baisse des taux d’intérêt.
Bref, toute diminution des taux risquerait de conduire à une dépréciation du yuan. Or, les autorités ne le souhaitent pas, à l’heure où elles cherchent à la fois à donner au renminbi la stature d’une monnaie internationale et à mettre fin à leur conflit commercial avec les États-Unis.
À quoi attribuez-vous le vif rebond des marchés d’actions depuis début janvier ?
Très clairement au virage accommodant de la Fed. Mi-décembre, cette dernière maintenait que la réduction de la taille de son bilan (de 50 milliards de dollars par mois) était en «pilotage automatique». Elle sous-estimait alors elle-même le télescopage entre le changement de régime monétaire et le ralentissement économique.
Puis, le 4 janvier, la Fed a fait volte-face. Elle a laissé entendre qu’elle pourrait marquer une pause. Il est désormais fort probable qu’elle annonce dans les prochains mois qu’elle ne touchera plus ni à son taux directeur, ni à la taille de son bilan.
La BCE devrait elle aussi opter pour un statu quo, en renonçant à une première hausse de taux en 2019. Le contexte de marché n’est donc plus du tout celui de 2018, marqué par un régime monétaire plus restrictif. La grande question désormais, c’est la croissance. Tout l’enjeu est de savoir si l’on assiste à un mini-cycle de ralentissement modéré ou à un freinage conjoncturel prononcé.
Parmi les événements susceptibles de faire pencher la balance du mauvais côté, il y a le Brexit sans accord. Est-ce un risque sous-estimé ?
En dehors de la question de la croissance chinoise déjà évoquée, un « no deal Brexit » constitue en effet un des risques clés, au même titre qu’un échec des négociations sino-américaines.
Ces deux événements sont très improbables car personne n’y a intérêt : un Brexit sans accord serait très négatif pour le Royaume-Uni et le reste de l’Europe, tandis qu’une absence d’accord commercial serait très dommageable à la Chine, à l’Europe, aux États-Unis, etc. Ce sont ce qu’on appelle des «tail-risks», des événements improbables mais qui changeraient tout s’ils advenaient. Or le marché a toujours le plus grand mal à intégrer de tels risques. Ils se gèrent principalement par des stratégies optionnelles.
Les Gafa, encore et toujours. Quelle stratégie boursière préconisez-vous pour 2019 ?
Je reste sur un scénario central qui verrait les indices terminer l’année proches des niveaux actuels, dans un contexte conjoncturel médiocre mais sans freinage brutal. En janvier, les valeurs cycliques ont capté une bonne partie du rebond, avec l’idée que les craintes économiques de fin 2018 étaient exagérées. On a corrigé des excès à la baisse.
Désormais, mieux vaut privilégier des valeurs non-cycliques adaptées à un environnement de croissance molle et d’inflation faible, disposant d’une bonne visibilité sur les marges, d’un bilan solide, etc. Ce profil, incarné hier par des sociétés comme Danone et Nestlé est aujourd’hui typiquement celui des Gafa [Google, Apple, Facebook, Amazon].
Dans un monde «japonisé» – de croissance molle -, les géants du numérique ont vocation à surperformer à long terme, au-delà de leur volatilité. Les phases de correction offrent ainsi de bons points d’entrée. Le nombre d’utilisateurs est un atout phare. Netflix a ainsi pu augmenter marginalement ses tarifs en janvier sans faire fuir ses 140 millions d’abonnés. À la clé, une hausse prévisible des marges !
L’impact de ces sociétés de technologie sur toutes les autres ne fait que commencer. À cet égard, trois secteurs me semblent particulièrement vulnérables : la banque (concurrence des fintechs), la distribution (essor du commerce en ligne), et l’automobile (mobilité partagée, future voiture autonome…).
Dans le monde actuel, il y a plus que jamais des perdants et des gagnants, qu’il est essentiel pour l’investisseur d’identifier.
Source : Propos recueillis par Marianne Py le 20/02/2019 pour le journal Le Revenu – Interview exclusive accordée par Didier Saint-Georges, Managing Director et Membre du Comité d’Investissement – CARMIGNAC
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